Sur le besoin d'avoir une stratégie

Instagram ne propose pas toujours que des vidéos de chiens rigolos ou de gens qui tartinent de la chantilly sur leurs pare-brises avant de conduire. Parfois, l'algorithme est plus éclairé dans ses choix. Un récent exemple est sa suggestion de vidéos de Pomplamoose, groupe américain principalement connu pour ses mash-ups (mélange de plusieurs morceaux en un seul). C'est aussi le groupe de Jack Conte, qui est le fondateur de Patreon.

En creusant un peu, je tombe sur cette vidéo de Jack Conte qui - pour vous la résumer - explique qu'il est impératif que les musiciens trouvent un moyen de se faire payer pour ce qu'ils font. S'il semble enfoncer des portes ouvertes, il est en réalité bien plus important de le rappeler qu'il n'y parait. En effet, mon métier de graphiste m'a donné à plusieurs reprise l'occasion d'entendre le discours qui veut que "comme j'ai fait de ma passion un métier, la question de l'argent est secondaire". Sous-entendu, là où il y a du plaisir, il n'y a pas besoin d'être rémunéré.

Et c'est vrai, qu'à la base, refaire de la musique nous permettait de caresser l'espoir d'une sortie de nos modèles professionnels quotidiens, du "business", et de simplement se reconnecter avec nos enfants intérieurs, loin de considérations d'audience, de besoins de fond de roulement, d'investissements, de communication etc. Et la marmotte met le petit chocolat dans le papier d'alu.

Notre passé musical nous a en effet fait vivre la musique dans des conditions plutôt avancées. Et ces conditions professionnelles étaient - surprise ! - très agréables. Jouer sur de belles scènes, équipées, travailler avec un environnement de qualité, permettant de viser un certain niveau artistique... Pour retrouver ces conditions, il faut nous inscrire dans une démarche qui soit, elle aussi, professionnelle.

Souvenir d'enregistrement du premier album de Norma Peals. On était jeune et insouciant, à cette époque...

Le contexte n'est pas vraiment favorable. Tout le secteur a officiellement une étiquette de "non essentiel" depuis la-crise-dont-il-ne-faut-plus-prononcer-le-nom, la concurrence est démentielle (il fallait déjà 16.858.080 d'années à un auditeur en 2018 pour écouter tout le catalogue de Spotify), les conditions d'attribution des aides à la production se durcissent, des intelligences artificielles écrivent des morceaux à la demande, bref, un moment idéal pour se dire "Tiens, si on lançait un projet musical ?".

Cependant, n'importe quelle entrepreneuse ou entrepreneur vous dira la même chose: entreprendre, c'est difficile. Le mot est lâché: un projet musical (qui se veut un tantinet ambitieux) est une entreprise. Qui implique énormément d'autres activités que "simplement" écrire de la musique. Comme le rappelait Cédric lors de la formation "Artiste entrepreneur", un projet musical qui fonctionne, c'est 25% la musique, 25% l'image, 50% la promo.

Nous voilà donc en train de réfléchir à des stratégies de développement avant même d'avoir fini les titres de notre premier album. Album qui était à la base un EP, mais qui est devenu un album pour faciliter le travail des attachés de presse et affirmer la crédibilité du projet auprès de différents organismes. Pour avoir aussi plus de matière pour "occuper le terrain".

Est-ce qu'on fait des powerpoint ? Absolument.

Nous allons aussi investir dans du marketing digital. Avec différentes stratégies: faire connaître notre musique en espérant qu'elle plaise et que cela fasse grossir notre communauté, pour ensuite développer le streaming de nos titres, pour intéresser des playlists, puis des pros. Enfin, c'est une idée. Il n'y a aucune garantie, aucun chemin tout tracé. Le hasard a aussi sa carte à jouer.

Finalement, nous voulions nous éloigner de nos métiers quotidiens où nous réfléchissons déjà en terme de "stratégie commerciale" mais finalement, notre projet est un produit, sous un certain aspect. Une attachée de presse avec qui je discutais l'année dernière (et qui compte des artistes de renommée internationale dans son catalogue) me disait précisément: "ça va te choquer, mais ton projet je le regarde comme un produit. Je réfléchis à votre public cible, à la concurrence sur ce créneau, à comment vous différencier... Si j'ai du mal à trouver un positionnement clair et des leviers de communication clairs, je ne prends pas le projet...". Elle aurait parlé d'un gâteau à mettre en rayon de grande surface, les mots eurent été identiques.

Alors oui, ça déprime un peu. Voire même beaucoup. Mais les options suite à ce constat sont assez peu nombreuses. Une partie des règles sont là. Libre à nous de les suivre, d'essayer de les contourner, de les ignorer complètement. Mais a priori, il est toujours utile de les connaître.

25% la musique, 25% l'image, 50% la promo

Mon processus de gestion par défaut de n'importe quel élément comportant une référence au CPF est un envoi direct et vigoureux vers la poubelle. Toute règle comportant son exception, j'ai lu UN mail y faisant référence: celui venant de Cédric, qui organise la formation TEMPO, pour "artiste entrepreneur".

J'ai un peu tendance à croire que le hasard fait bien les choses. Loin de moi l'envie de lancer un interminable débat sur les biais cognitifs ou le sens de la vie (ce sera pour plus tard) toujours est-il qu'alors que nous commençons à nous dire, en juin dernier, que "finalement ce serait peut-être pas mal d'essayer de faire quelque chose de nos morceaux", je reçois un mail de cette formation me disant qu'elle est désormais finançable par le CPF. Le pitch de la formation: "Comment développer une carrière d'artiste économiquement viable ?". Mon solde CPF: pile-poil le montant de la formation. Et le hasard ne ferait pas bien les choses ?

La formation se déroule à Paris, sur 3 jours, et permet au groupe présent de rencontrer pendant une demi-journée chacun un•e acteur•rice d'un pan de l'industrie musicale. Tournée, Edition, Management, Promotion (Presse / Distribution), Production et Organismes (T.E.M.P(.P).O, vous l'avez ?). Après 5 années à avoir touché à pas mal de choses avec Norma Peals, je pensais connaître le milieu et ses rouages. Erreur.

Cédric, l'organisateur et chef d'orchestre de la formation, nous accueille avec cette phrase "un projet musical qui fonctionne, c'est 25% la musique, 25% l'image et 50% la promotion, à moins d'être Michael Jackson ou Angèle." Coup de froid dans l'assemblée. Comme je n'ai pas 4 frères et ne suis pas belge, je suis coincé, je vais devoir jouer avec l'équation annoncée.

Je ne vais pas m'étendre dans ce billet sur la formation en elle-même (que par ailleurs je vous recommande fortement si vous êtes un tantinet soit peu intéressé par le fait d'évoluer dans le domaine de la musique) mais c'est pour vous dire que la vie d'un groupe en développement passe finalement autant - voire presque plus - parce qu'il se passe autour de la musique que de sa création en elle-même. Bien ou mal, je ne suis pas là pour juger. Et quand bien même, ce que j'en pense intéresse ma mère, à la limite, mais c'est tout.

(oui, c'est moi)

C'est aussi pour ça qu'on voulait créer ce journal. Pour vous raconter comment on vit les choses au quotidien, de l'intérieur, sur tous les domaines auxquels on touche. Et ça parle presque plus de dossiers de subventions, de positionnement marketing, de quoi poster sur Instagram que de quel ampli choisir pour le refrain de Riviera... Encore une fois, triste ou pas triste, là n'est pas la question.

D'ailleurs, je vous laisse, j'ai justement un dossier à remplir pour faire partie d'un catalogue d'artistes à faire tourner dans le Grand Est...