Chercher à plaire ou ne pas chercher à plaire, telle est la question.
Profitant d'un dimanche à peu près calme, j'ai passé un moment avec ma fille ainée, qui me tannait depuis des lustres enregistrer un morceau. Au programme, une chanson très confidentielle d'une artiste qui l'est encore plus: "Bruxelles Je t'aime" d'Angèle. M'apercevant rapidement que la tonalité de base allait être trop grave pour la voix de ma fille, je décide de faire une version piano, pour laquelle je cherche donc les accords. Stupeur (et tremblements): le morceau tourne sur 4 accords, en boucle. Dm / G / C / F (ré mineur, sol majeur, do majeur, fa majeur) pendant 3'30.
Comme à chaque fois que je tombe sur des tubes radio avec ce genre de suite d'accords (les accords magiques qu'on nous ressort à toutes les sauces, comme dirait l'autre), une phase de questionnement s'enclenche quasi-immédiatement: faudrait-il simplifier nos morceaux ?
Quand je compose une chanson - quel que soit le point de départ, je finis irrémédiablement par chercher à amener une certaine complexité harmonique. Que ce soit avec des accords enrichis ou empruntés à d'autres gammes, avec des structures pas forcément classiques, je suis toujours un peu gêné quand la chanson se résume à 3 accords tout simples. La magie (pour moi) c'est de parvenir à créer des chansons populaires, dans lesquelles on entre facilement, mais qui ont aussi un intérêt théorique, musical.
Les Beatles en sont un excellent exemple. Réussir ce tour de force d'être un boys band repris par Brad Meldhau, c'est quelque chose. Pas plus tard qu'hier, je tombe sur l'excellent Rick Beato, un stakhanoviste de la théorie, citant "A Day in a Life" dans une vidéo pour montrer comment la théorie avancée peut servir la musicalité.
Aussi, quand je tombe sur Angèle, je me dis "pourquoi s'embêter ?" (poliment). D'ailleurs, avec Puzzle, un de nos objectifs est de se faire plaisir avant tout. J'ai payé assez de psy pour savoir qu'on ne plaira pas à tout le monde.
En outre, si les seuls musiciens reconnus devaient être ceux qui proposent des choses "techniques" ou qui en repoussent les limites comme un scientifique étend le champ de connaissance de son domaine, nous n'avons aucune chance. Entre les jazzmen, les musiciens classiques ou contemporains, nous n'avons en comparaison rien à apporter d'enrichissant à la musique en tant que champ de recherche.
Ce n'est d'ailleurs pas notre but. Nous avons pris le parti d'essayer de faire des chansons populaires, qui touchent des gens. Bêtement.
Seulement voilà, dans ce processus de développement de ce groupe, nous avons évidemment envoyé notre candidature à certains dispositifs d'accompagnement. La réponse qui revient le plus est - je résume - "c'est bien fait, c'est bien produit, ça fonctionne, mais c'est déjà un peu entendu".
Alors du coup ? On fait quoi ?
Est-ce qu'on veut "percer" ou simplement "se faire plaisir" ? Est-ce qu'on décide de ne tenir compte d'aucun avis en faisant ce qu'on a envie de faire ou on essaye quand même de respecter certaines règles quite à négocier un peu avec nos ambitions artistiques ? En parallèle de ces questions philosophiques se posent des contraintes très concrètes: on parle par exemple d'investir pour le premier disque quasiment 20 000€. Une belle somme pour simplement "se faire plaisir".
Je n'ai pas de réponse à cette question. J'écris ici un peu comme je réfléchirais à haute voix (ce qui est un peu le but de ce journal). Evidemment, si la réponse existe, j'imagine qu'elle doit être quelque part entre les deux.
Il y a d'ailleurs des morceaux voire des projets entiers, très commerciaux que je trouve absolument supers, et des choses très barrées - pourtant musicalement extrêmement intéressantes - que je trouve inécoutables. Impossible de ne pas mettre de subjectif là-dedans.
Je crois que nous allons simplement continuer à faire ce qui nous plait tout en étant prêt à faire les choses d'une manière qui favorisera le plus possible l'émergence du projet. L'essentiel étant probablement de rester fiers de ce qu'on produit. Capable d'écouter nos morceaux en se regardant dans la glace, en somme.
Et puis de toute façon, si ça ne marche pas, j'accompagnerai ma fille en tournée. Et comme vous demandez un extrait de ce qu'on a enregistré (si, si, je vous entends), en voilà un petit bout. Là, pas de doute, ni de subjectif, c'est super. Evidemment, c'est ma fille.